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J'ECRIS ET CHASSE LE HANDICAP
26 novembre 2010

N°5 Les yeux d'une myope sévère

Episode 5

Habituée à m’adapter à tout milieu avec un sens incroyable de sauver ma peau et de vivre le moins mal, j’ai appris à me défendre et à m’imposer, à être la meilleure dans tout, ça provoque le respect, on en oubliait de me railler sur mes verres loupes et à rester modeste pour éviter les jalousies, à être super au ballon prisonnier pour ne pas être exclue à cause de mes gros verres de lunettes. Bref, je me suis définitivement armée pour la vie que j’allais avoir et mon poumon a guéri sans doute à cause du bon air montagnard en Lozère  car pour le reste, ce n’était pas drôle du tout.

Les bonnes sœurs n’aimaient pas bien les enfants qui ne recevaient pas de visites. Et moi, je n’en recevais pas, c’était comme au Tillou, ma mère habitait trop loin. Sauf qu’il n’y avait plus la guerre.

J’écrivais de belles lettres à ma maman, du moins c’est ce que disait la sœur Saint Vincent, chargée de contrôler tous les courriers et, à table, elle le clamait à toute la confrérie. Donc, ça suscitait de l’estime à mon endroit sauf pour la Sœur Saint Georges, responsable du groupe des grandes, pour laquelle j’étais bien petite pour entendre ses conversations avec les toutes grandes. Elle me soupçonnait de comprendre et elle n’avait pas tort, j’avais la quasi certitude qu’elles parlaient des garçons et ce n’était pas bien permis.

 

Tout cela vous fait savoir pourquoi j’étais à l’Hôtel Dieu de Toulon en 1951, un hôpital pisseux, c’était l’après-guerre. Le médecin était pessimiste à cause de mon fond d’œil de myope sévère dès le jeune âge. Pour l’heure, il était encore possible d’obtenir une correction de 6 et de 8 ce qui est très bien. Je n’ai pas bien cru ce toubib et l’avenir lui donna fort heureusement tort.

A trente-huit ans, alors que j’avais 4 enfants et une belle carrière, j’allais à l’hôpital de Mulhouse car dans mon champ de vision frétillaient des têtards mieux que dans une mare à eau stagnante. Les soignants me parlaient de mouches.

Faut pas rire, j’en voyais depuis mes quatorze ans, maintenant, c’était des têtards. Face à mon obstination, il fallait m’adresser au grand Professeur qu’on ne dérangeait que pour des cas d’exception. Le grand professeur déclara que mes vitrés s’étaient décollés et avaient déchiré les rétines. Il les consolida au laser et ça tient toujours. Le Professeur me dit qu’une cécité me guettait et comme je ne fis pas de commentaires, c’est lui qui en fit face à mon absence d’émotion.

- Docteur, j’ai entendu ce diagnostic quand j’avais 10 ans, j’en ai 38. Si ça tient encore autant, j’ai la possibilité de mourir en voyant clair.

- Vu comme cela, je comprends votre sang froid.

- Y a-t-il des règles de vie à respecter ?

- Comment cela ?

- Eviter la télé, la lecture, par exemple.

-  Vivez comme vous l’entendez. Et si vous vous réveillez en ne voyant plus, il ne faut pas vous dire que la veille vous auriez dû ne pas regarder la télévision. Cette cécité peut survenir à tout moment et vous n’y êtes pour rien.

Je compris mieux les propos d’un ophtalmologue quand j’avais treize ans. Ma mère m’y avait conduite avec brutalité et très énervée, elle dit au docteur

- Cette sale gamine, avec sa mauvaise vue, n’arrête pas de lire, elle n’écoute rien.

Sur un ton sans réplique, le Docteur répondit

- Laissez cette pauvre gamine faire ce qu’elle veut et si elle veut lire qu’elle lise !

Pour lui, je n’étais pas gâtée avec mon fond d’œil donné en héritage, inutile qu’on me gâche encore la vie.

Ma mère l’a fort bien compris avec ce ton à vous clouer le bec comme diisait ma grand mère et je n’ai plus eu à me cacher pour lire. Ce n’est pas tout à fait vrai car il fallait que je reste à la disposition de ma mère pour être sa bonne à tout faire. Alors que j’avais treize ans, elle s’était remariée,  elle eut enfin deux garçons, elle n’aimait pas les filles, des personnes de seconde zone comme elle disait. Cependant, elle voulut que je revienne chez elle alors que j’étais de nouveau chez ma grand’ mère peu après le préventorium Je fus chargée de langer les bébés pour la nuit et des derniers biberons, des premiers aussi.

L’un pleurait la nuit, c’était un prématuré et son berceau fut mis à côté de mon lit. Quand il pleurait, je lui donnais sa sucette et si ça ne suffisait pas, je la trempais dans du sucre et mon petit frère se rendormait tout content. Ma mère n’a jamais compris pourquoi, avec moi, il était si calme et moi, je n’ai jamais rien dit. De toute façon, il fut si longtemps chétif que le docteur avait dit de mettre du sucre dans sa sucette, pour la nuit ma mère n’en mettait pas puisque c’est moi qui entendrais ses pleurs, elle était chroniquement sans le sou et peut-être qu’elle cherchait à économiser SON sucre. L’adjectif possessif était pour souligner que s’il y avait du sucre, c’était grâce à elle.

Alors pourquoi ma vue se dégrade autant maintenant ? L’argument de l’âge ne suffit pas. Je laisse la parole à mon ami François, écrivain et poète à ses heures, avec lequel j’échange des mails, lui aussi trouve qu’écrire aide à soulager la douleur. Il m’a envoyé un texte sublime sur le MAL et je veux lui faire l’honneur de reprendre ses termes. Tchao, pour aujourd’hui. Vous devez lire cette histoire comme le feuilleton d’un grand quotidien, donc il faut savoir patienter.

 

 

 

 

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