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J'ECRIS ET CHASSE LE HANDICAP
9 mars 2011

N°45Exploitation sous couvert de dignité et de charité

 

Épisode N°45 

Que ce soient films, téléfilms ou débats, les mêmes mots et phrases réapparaissent. « Ya pas de problèmes », « y a pas de soucis », répétition à tire larigot depuis qu’il y a eu la crise financière et on ne remet surtout pas à l’honneur l’expression « tirer le diable par la queue ». Avant la crise, le mot à la mode, c’était « racine ». À force de vouloir que chacun se réclame de ses « racines », je me demande si cet engouement n’a pas fait surgir des problèmes. ceux de l’autonomisme et ceux de sa filiation

Dans le village du Tillou en Bourbonnais où les paysans accueillaient les enfants de la guerre, pour beaucoup sans père ni mère reconnus, on n’allait pas les seriner avec leurs origines, leurs racines comme il est dit sottement dans le XXèmesiècle finissant. Et maintenant, le mot chic et choc est « dignité ». Si t’as pas de travail, t’as perdu ta dignité. C’est au nom de cette dignité que le maire d’une commune haut-rhinoise a embauché, à titre bénévole, des chômeurs de toutes sortes qui ont mis leur savoir-faire à restaurer une vieille bâtisse communale qui est devenue une brasserie florissante et un lieu d’animation continue pour cette banlieue de Mulhouse. A la suite de cette restauration, deux postes permanents de travail ont été créés. deux ont retrouvé leur dignité ! et les autres l’ont eue le temps qu’ils ont montré leur capacité à apporter un mieux à leur cité. Face à l’assemblée de noables, seuls des élus du sud-est français se sont indignés et ont clamé leur refus d’utiliser ainsi des chômeurs. Leur indignation véhémente me rassurait car j’étais ulcérée. Et depuis, je suis attentive quand le terme « dignité » est utilisé. Quel abus d’usage va-t-on en faire ? avec l’objectif d’exploiter un défavorisé !

Je souffre beaucoup. Chaque jour a son lot de peines. Je viens de faire un panaris au gros orteil gauche, une plaie en dessous du mollet gauche survenue sans que je sache pourquoi et qui ne guérit pas. A présent, je me paie une colopathie à noircir mes jours et mes nuits. Pour ceux qui veulent des repaires, je dirai que la souffrance vaut celle engendrée par une colique néphrétique ou hépatique. Je n’exagère pas, je le dis par expérience.

Au moment de l’accident de la route, la décélération brutale a fait péter mon intestin et bien que réparé, mon colon en est resté chagrin. J’avais l’habitude d’animer des soirées poétiques, de faire des conférences. J’accepte quelquefois des engagements mais désormais je stresse bien des jours avant et mon colon irritable s’applique à me mettre hors course.

Etre tributaire de son corps est une atteinte à la dignité, c’est ainsi que je le vis. Etre rabougrie par la douleur me rend honteuse. Avoir un public m’insufflait une dynamique, maintenant, je ne suis qu’appréhension. Mes collègues en poésie m’aiment bien car je leur offre mon public pour dire leurs textes, moi, ma vue est trop médiocre pour que je fasse une lecture en public. Je ne veux pas affliger aux autres les étapes de ma déchéance. Après mon accident, je me refusais à me mettre en couple, je ne voulais pas prendre le risque d’infliger mes handicaps et finalement François et moi partageons notre vie. François ne se plaint pas mais il lui arrive d’avoir un geste d’humeur. J’en suis toute déboussolée cependant, je suis devenue fataliste « je suis comme ça et je n’y peux pas grand-chose ». Je reste coquette pour moi et par souci de l’image donnée aux autres.

Se moquer d’une fillette qui a le parler de son village, c’est une atteinte à sa dignité. L’histoire racontée par François Geoffroy me rappelle d’autres vécus en milieu religieux aussi. Quand j’étais môme, seuls les instituts religieux étaient ouverts aux jeunes enfants, c’étaient le plus souvent des orphelinats, d’autres instituts étaient ceux de santé. J’ai fait l’expérience des uns et des autres.

Dans les orphelinats, j’étais une privilégiée car je n’y restais que le temps des petites vacances. Ma mère travaillait et après ses heures de secrétariat, elle faisait le ménage dans la firme qui l’employait afin d’améliorer son revenu pour élever ses deux filles. Ma petite sœur dut être hospitalisée à l’hôtel Dieu de Toulon. Elle avait la toxicose, il y avait une épidémie, les nourrissons mouraient comme des mouches. La nursery était d’un triste ! avec ses petits lits en métal et leurs barreaux d’un blanc écaillé, des lits en surnombre qui n’arrêtaient pas de se remplir pour se vider.

Ma petite soeur a  survécu, elle devint une gosse solide et adorait sa « mémé », une nourrice à Dardennes, bourgade proche de Toulon. Je m’y rendais seule, en bus, et souvent je n’oblitérais pas mon ticket pour faire faire des économies à ma maman et être sûre que j’avais un ticket en réserve pour rendre visite à ma petite sœur. Avec son temps à l’hôpital, ses dents avaient poussé toutes noires. Pas grave, avait dit le docteur, les définitives pousseraient normalement et ce fut vrai.

En bus, je n’ai jamais eu de contrôle et ma mère ne s’étonnait pas de la validité interminable de mon ticket. Je crois qu’elle aimait bien que je sache me débrouiller et avec mon agilité, bien malin celui qui voudrait me rattraper et, dans le pire des cas, j’étais bien jeune pour qu’on me bouscule sévèrement.

Les grandes filles à l’orphelinat avaient des airs modestes et sages. Elles brodaient ce qui allait constituer le trousseau des filles à marier de la bourgeoisie. Les bonnes sœurs étaient des grippe-sous. Il fallait que les orphelines soient rentables. Pour réduire la consommation d’eau, nous conservions nos couverts, roulés dans notre serviette de table, ils n’étaient jamais lavés.

A partir de mes dix-sept ans, j’ai travaillé, durant chaque vacances, grandes ou petites, dans une clinique tenue par des religieuses, c’était à Quimper, elle existe toujours. Quand j’ai été bachelière, la mère supérieure m’a demandé si j’avais la sécuté sociale des étudiants.

- Oui, répondis-je ;

- Alors, je n’ai pas besoin de vous y inscrire ?

J’ai été de son avis sauf que je n’ai pas su prétendre à un meilleur salaire et que je ne savais pas l’incidence sur la retraite. En clair, je travaillais au noir. Les bonnes sœurs, pas bonnes du tout, sont expertes dans l’exploitation des démunis et, en ce temps-là, des gosses indésirables auxquels elles offraient un gîte et soulageaient ainsi leur famille, en l’occurrence ma grand-mère désignée tutrice, en contre partie 12h de travail surtout quand elles récupèrent une diplômée qui pourra même assurer à toute heure le standard, tâche complexe dans une clinique, des vacances inespérées pour la mère supérieure. Mais quand j’ai eu une angine avec fortes fièvres, pas question d’être soignée, j’ai été congédiée.

-         J’ai été engagée pour trois mois ai-je protesté car j’entendais déjà les jérémiades de ma grand-mère si je revenais à la mi-août.

-         Vous n’avez pas de contrat !

-         Si j’ai accepté, c’est que je faisais confiance à une institution religieuse.

La révérende mère a tourné les talons et monté quatre à quatre l’escalier.

C’est dans leurs mœurs de tirer profit de la misère humaine.

Les laïcs ne sont pas nécessairement mieux. J’ai enduré plus d’une fois le fait de devoir m’assumer seule. Avec moi, personne pour demander des comptes et rétablir le droit.

Une des vexations les plus fortes dont je me souvienne est quand le fils du pharmacien a eu, en classe terminale, le prix d’excellence qui normalement me revenait mais il était le fils d’un pharmacien qui en plus faisait un don au lycée pour offrir des livres aux meilleurs élèves. Ce fut l’explication du professeur de physique pour que je comprenne. Ainsi le fils du pharmacien devenait le meilleur des meilleurs Je ne suis pas allée à la distribution des prix.

 

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