Episode 72 (suite et in des épisodes 70 et 71)

Mon frère et Michel, un de ses copains viennent me rendre visite. Ils ont 5 ans de plus que moi. Si mon frère est de bonne taille, son copain est plus grand que lui et bien baraqué. Le genre de gars large d’épaules, toujours calme et souriant, sûr de lui. Pour mes 20 ans, il a l’apparence d’un gars qui tient la route, sur qui on peut compter. En le décrivant je vois comment j’aurais sans doute préféré avoir un frère comme lui, mais ça c’est une autre histoire.

Je les vois arriver dans l’allée centrale et je m’aperçois que Michel est blanc comme un linge. La première chose qui me vient à l’esprit c’est qu’il doit être malade.

- Qu’est ce qu’il t’arrive Michel, t’as pas l’air

- T’es con, c’est toi. Alors comment ça va ? me dit-il d’une voix un peu étranglée.

Mon sourire a dû le rassurer, je n’allais pas si mal que ça, Bon Sang !

C’est à ce genre de chose que j’ai pris peu à peu conscience que si je ne sentais rien, j’étais vraiment malade et que c’était sérieux. Rien ne vaut le regard des autres pour cela.

Pour couper court aux émotions inutiles et histoire de reprendre la main, je leur propose de sortir dans le parc.

- Ah bon, tu as le droit de sortir ?

- C’est quand même pas la prison et je le peux si je reste autour du bâtiment

Je sors pourtant rarement, tout seul, cela ne me tente pas, j’ai un peu peur de trop sentir la vie du dehors même si c’est dans l’enceinte de l’hôpital. Je dois me sentir à l’aise avec eux car je les entraîne jusqu’à une des entrées qui donne sur la rue. Arrivés aux grilles, je leur demande si l’un d’eux n’a pas un peu d’argent et je leur désigne un café ouvert sur le trottoir opposé en leur disant que je boirais bien un coup.

- T’es fou, tu n’ vas pas sortir, c’est interdit.

Bien sûr que non que je n’allais pas sortir, j’avais envie de faire mon arrogant pour une fois que c’est moi qui pète la forme et Michel qui est tout blanc !

Voila comment, peu à peu, 4 mois et demi sont passés au service de pneumologie de l’hôpital Cochin. Période enrichissante qui me fit tomber encore un peu plus vite de ma jeunesse à peine ébauchée dans ma vie d’adulte. J’ai raconté dans un autre texte « Au sana au plus haut des cieux », comment six mois de sanatorium en Savoie se sont ajoutés à ma sortie de Cochin pour permettre à mes trous de se cicatriser définitivement. Là aussi le lieu fut un enrichissement quotidien dans cet établissement conçu pour recevoir des militaires et qui s’était ouvert aux civils pour remplir tous les lits et avec des bonnes sœurs comme personnel soignant ! La liesse et la gaudriole étaient de mise tous les jours comme on peut l’imaginer.

Quand je vois un de ces bons vieux westerns à la télé, j’ai souvent une pensée émue pour les trois w.c des années 70 du service de pneumologie de l’hôpital Cochin.

Leurs portes battantes façon saloon résonnent aussi à mes oreilles quand je pousse une porte qui grince. Pour mes 20 ans lointains, j’ai parfois aujourd’hui un genou qui craque mais cela ne me renvoie pas aux traîne-savates qui arpentaient le couloir principal de la grande salle des pestiférés…

N°72 Plaisanterie et le saloon en mémoire

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