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J'ECRIS ET CHASSE LE HANDICAP
11 janvier 2011

N°33 Le défi : hier et aujourd'hui

Épisode33

Propos de François Geoffroy                              

La route que j'emprunte aujourd'hui est parsemée de cailloux. Celle d'avant l'était aussi mais je n'avais pas besoin de baisser les yeux presque à chaque pas pour les éviter.

J'ai marché jusqu'à cet âge un peu avancé où mes lendemains semblent vouloir s'annoncer plus paisibles que les années passées, surtout celles bousculées de ma jeunesse.

 Mes propos sonnent avec le ton d'une vieille baderne qui pense avoir fait le plus dur et qui prévoit la douceur à venir mais qui n'est, en fait, que le fruit d'une folle espérance.

 L'avenir n'a qu'un seul intérêt, c'est qu'il ne se fait jamais connaître avant. Alors j'écris seulement que mon demain semble vouloir s'annoncer plus paisible. Chacun a compris que le seul mot réellement important dans cette phrase était "semble".

Pour les cailloux, il me faut effectivement être attentif aujourd'hui à les contourner et, tout autant les déclivités, les trottoirs ou autres inégalités sur mon chemin. Les paresthésies, ces douleurs neurologiques faisant suite à un sciatique trop usagé, me font boiter du pied gauche.

Chaque imperfection imprévisible que peut sentir mon pied se répercute jusque dans le bas de mon dos qui doit encaisser une secousse désagréable.

En choisissant de raconter comment je dois faire pour marcher présentement, je veux montrer comment j’avais une vie avant sans ces embûches à chaque pas et comment se présente ma vie d’aujourd’hui. Je sais quand j’ai mal. Dans le passé, en marchant, je n’avais nul besoin d’anticiper sur le risque d’un mal à venir.

La vie est suffisamment bien faite lorsque l’on marche normalement pour que le cerveau soit en paix et disponible au vent qui secoue les cheveux et au chant du merle quand il rabat ses petits vers le nid à la tombée du jour.

La vie est faite différemment (je n’écrirais pas pour autant  mal faite) quand le cerveau commande de baisser les yeux lors d’une promenade pour éviter à mon pied gauche de se poser de travers sur le sol. Quel intérêt d’écrire sur ce qui apparaît comme une gêne dont il suffirait que je m’accommode au fil du temps !

Parce qu’aujourd’hui, je me fous de ce fil du temps là ! Je voudrais retrouver l’ancien, le fil des jours de la poésie légère, celui qui vous laisse le nez en l’air à humer les odeurs et regarder la cime des arbres. Aucun de nous n’a besoin de s’appesantir avec des mots sur ces moments fugaces ou étirés quand la conscience d’être bien ne nous frôle même pas. Nous le sommes… bien, autant que le sont l’oxygène et le sang qui circulent librement dans notre corps. 

Cette invalidité nouvelle, ce vieillissement précoce d’un homme de 58 ans qui marche en boitant est simplement inadmissible. Malgré cette année et demie écoulée qui m’a vu vivre ainsi, je n’ai pas encore pu attraper le rythme de croisière adapté. Voici mon défi :

Je me souhaite, non, je me veux mieux vivre avec l’homme que je suis devenu.Ce défi n’est pas mince et pour l’appréhender correctement je sens qu’il me faudrait d’abord aimer vivre avec cet homme là…

Je pressens que cela ne va pas être simple car j’avais déjà mis du temps à m’aimer dans ma vie précédente. Comme d’autres peut-être, j’avais cru à chaque décennie que « ça y est, c’est bon, maintenant je peux embrasser ma vie sereinement dans la maturité de ma vie d’adulte ».

Arrivé à 50 ans, comme pour les autres anniversaires d’une décennie franchie, je pensais que j’avais enfin fait le tour de la question, que les événements devraient se dérouler sans trop de surprise, au moins en ce qui me concerne car je me connaissais enfin. Et c’était vrai, je me connaissais de mieux en mieux. N’avais-je pas acquis un certain recul qui me permettait au moins d’être moins dupe de moi-même et des autres par la même occasion ?

Quand j'ai eu écrit : vouloir la guérison serait une utopie n'était pas le manque de volonté de m'en sortir, c'était exprimer comme quoi j'étais totalement consciente de mon état, autant de vertèbres déplacées allaient imposer leurs nuisances, rien pour réparer une telle atteinte. Le médecin généraliste m'adressait à cette médecine spécifique de la douleur pour m'apporter un mieux et c'est ce que j'attendais d'elle. Mais quel  chemin parcouru avant d'accepter ce raisonnement. Quand je suis allée consulter à Lyon, je comptais sur une médecine qui me remettrait au mieux de ma phase de récupération après accident de la route. Je n'avais pas compris que, depuis un an, j'étais dans la phase séquelles que j'étais incapable d'imaginer et que les toubibs experts avaient passée sous silence.

Quand j'étais encore en rééducation fonctionnelle, la kiné qui me suivait journellement, face à mon triomphe devant mes progrès s'est exclamée:

- Qu'est-ce que vous allez souffrir !

Je ne comprenais pas et je le lui ai dit. Sa réponse:

- Avec toutes vos atteintes, vous avez une expérience exceptionnelle de la douleur et vous pourriez en témoigner.

je me rappelais cet interne qui m'avait dit quand je  quittais le service de soins intensifs:

- Ne nous remerciez pas; à travers votre cas, nous avons réalisé que nous ne savons pas grand chose sur la douleur.

Et quelque temps plus tôt, le médecin chef m'avait informée que j'avais été mise sous morphine à un seuil d'accoutumance car il n'avait su comment faire autrement pour entretenir ma lutte pour la vie.

Je me suis rapidement passée de morphine. Je n'aimais pas les réveils après une injection, c'était aussi pénible que la reprise de conscience de mon corps au sortir du coma.

Non, mais la pensée dominante qui me harcelait face au propos de la kiné était "j'ai peut-être une grande expérience de la douleur physique mais je connais une expérience pire qui est la souffrance morale.

Je n'ai rien dit car je n'avais pas envie de m'expliquer.

Aujourd'hui, chers lecteurs, j'ai le sentiment que, mises sur les plateaux d'une balance : souffrance physique et souffrance morale, le plateau le plus lourd est celui de la souffrance physique. Quant on n'est pas masochiste on s"extrait du milieu qui produit la souffrance morale. Les souffrances liées aux séquelles d'un accident, on ne s"en débarrasse qu'avec la mort. On assiste impuissant à la dégradation du corps, à son vieillissement prématuré, à cette dichotomie entre l'esprit et le corps, l'esprit entreprend, le corps ne peut pas suivre. Notre corps nous prend en otage, le terme n'est pas trop fort.

Depuis des années, je me déplace avec une canne. J'en ai eu marre des chutes et ma canne me permet de tâter les dénivellations puiisue je ne les vois plus. Et je marche avec plus de tranquillité, gens et chauffeurs montrent une certaine déférence. Il y a de jolies cannes, rappelle-toi, cher François, la période des dandys. Si tu prends une canne, imagine-toi en dandy et tu pourras retrouver tes rêves en marchant. Charles Carrère, poète francosénégalais, venu à Strasbourg pour le Congrès des poètes francophones, marche élégamment avec une canne en ébène  sculptée, ramenée de son pays d'origine. La mienne n'est pas mal non plus.


 

 

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