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J'ECRIS ET CHASSE LE HANDICAP
16 mai 2011

N°63 La soupe populaire

 Il y a des épisodes dans l’existence qui nous marquent bien qu’ils soient en apparence anodins. Alors François, après le bidonville et la grive qui mérite un prix de la nouvelle, je vais raconter à tous une histoire qui m’a beaucoup marquée : celle de la tranche de pain d’épice. À travers mes mots, je vais faire revivre un bien vieux Monsieur. Déjà vieux alors que je n’avais que dix ans, autrement dit, il n’est plus de ce monde. Comment est-il mort ? Ce n’est que maintenant que je me pose cette question saugrenue, chacun meurt même sans l’avoir voulu, on ne choisit généralement pas le moyen. Je sens que vous n’allez pas me suivre si j’ai de telles réflexions.

À contrôler la fréquentation des épisodes, vous êtes très nombreux quand je rigole moi-même de mes avatars. Il faut avouer que mon corps me fait passer par des épreuves démentes. En plus, tous les dix ans, je dois conter son évolution comme quoi je mérite le renouvellement de ma carte d’invalide et de mon macaron. La carte d’invalide m’a été délivrée vingt ens après mon accident où une invalidité de 30% avait été consentie. Quand le médecin en 2001 m’a demandé quel était mon taux d’invalidité, vu ma réponse, il a eu un doute sur mon entendement. J’ai objecté que je n’y étais pour rien si les toubibs ont fait le jeu des assurances. Elle a rempli son dossier sans commentaires. Les médecins disent que je devrais avoir une carte à 100% et non pas à 80%. Alors qu’ils l’écrivent car tant que j’aurai mes deux jambes et toute ma tête, je sais bien que je resterai à 80% quand bien même il est reconnu que j’ai besoin d’un accompagnateur, mon François remplit cet office avec philosophie. Ma mère n’est plus de ce monde et ne m’engueule donc pas d’exister encore avec autant de problèmes.

L’histoire de ce jour se passe à Toulon où j’avais été expédiée promptement le jour de mes dix ans. J’y découvris une petite sœur qui tomba très malade, une toxicose. Pour une prise encharge complète de l’hôpital, il fallait que ma mère soit inscrite à la soupe populaire. Ce fameux service qui a repris de l’actualité au Portugal. En France, ça reste les restaurants du cœur même si son fondateur, Coluche souhaitait que ce service soit assuré par l’Etat et non pas grâce à la générosité populaire. Aucun député n’a repris l’idée lancée par Coluche, par contre, même quand ils sont dans l’opposition, ils sont d’accord avec les indemnités toujours plus grosses octroyées par le Gouvernement qui crée moult commissions où l’argent du contribuable est encore distribué aux élus dévoués à la cause publique. Il faut être idiot pour ne pas avoir compris que l’avenir garanti, le fortune à portée de main passe par le politique.

Donc en 1951, la guerre par les armes avait laissé ses traces et il existait la soupe populaire. On est toujours en pleine guerre, la guerre économique, c’est pour cela que ce service a retrouvé sa fonction. Les guerres ont toutes le même vice, créer la fortune des crapules et ruiner le plus grand nombre exposé aux balles ou au travail forcé.

C’est moi qui me rendais à la soupe populaire. J’emmenais mes gamelles vides encastrées les une dans les autres et les ramenais remplies. Ces gamelles étaient un système pratique, fonctionnel qui datait de l’époque où mon grand- père était officier de carrière. Au retour de l’école, je repartais avec mon attirail pour me rendre à la soupe populaire, un baraquement au bout d’un chemin de terre coincé entre les murs de la prison t de celui qui séparait de l’Arsenal. Je m’engouffrais rapidement dans le chemin car deux gamines effrontées maraudaient dans les parages et je ne voulais pas qu’elles repèrent mes allées et venues régulières et y trouver prétexte à me chercher des poux.

Un jour, elles m’accostèrent et dirent avoir vu mon manège, n’irais-je pas à la soupe populaire ? J’ai dit non de la tête et les ai regardées avec un même air effronté. Un garçon passa à bicyclette et elles imitèrent le bruit d’un pneu crevé. Le garçon descendit de son vélo et contrôla ses roues sans maronner pendant qu’elles se tordaient de rire. Le gars enfourcha son vélo après un simple haussement d’épaules. Moi, je continuais ma route comme si de rien n’était. Tout était anodin et elles m’oublièrent.

Sur le chemin, j’étais bien tranquille, il faisait plein soleil et les grands murs jetaient des ombres qui évitaient la trop grande chaleur ou les rafales de vent. Les seuls marcheurs se rendaient à la soupe populaire et je sentais de la bienveillance dans leur regard. Je me dévouais assurément pour ma mère en peine, j’étais bien la seule gamine à fréquenter le lieu. Même dans une grande ville, ces choses-là se savent. Un jour, alors que je me hâtais sur le trottoir qui me menait à l’ecole, trois professeurs des classes lycées passèrent et l’une d’elles dit aux autres « Tiens ! La gamine qui va à la soupe populaire ». Comment le savait-elle ? Je m’en foutais, l’essentiel était que ma petite sœur puisse être soignée.

En même temps que je m’engouffrais sur le chemin, un homme s’y engageait. Coïncidence ? Nous arrivions dans le chemin toujours dans le même temps. Il me parla gentiment, je lui répondis, c’était sans importance, je n’ai aucun souvenir de ce que nous avions bien pu dire. Moi, très bien élevée par ma grand’mère, je n’étais pas du genre à me montrer indiscrète à l’endroit d’un homme âgé. Je me souviens seulement de la douceur de sa voix, d’une grande bonté sur son visage et de son manteau qui n’était autre qu’une capote de soldat sans ornements et d’une propreté remarquable comme si elle n’avait jamais servi. Je crois qu’il n’avait pas de famille sauf un fils disparu avec la guerre ce qui me rappelait mon arrière grand’mère qui disait je vis de la pension de mes fils morts, sept tués avec celle de 1914-1918 et deux blessés dont mon grand-père qui mourut avec la fin de la Seconde Guerre mondiale et quand Brest fut rasée par les Américains, son frère Jules survécut plus longtemps même si des éclats d’obus continuaient à s’expulser de ses jambes lorsqu’il se grattait. Les Bretons ont donné beaucoup de vies à la France. La guerre a hanté toute ma petite enfance.

Donc ce vieil homme m’accompagnait chaque jour jusqu’au baraquement. On approchait de Noël et il me parlait des rations de bonnes choses qu’on nous donnerait en plus. Nous avons eu des noix, des noisettes et des figues sèches. Il me parla d’une fête où il avait été invité en raison de son grand âge et on lui avait donné une bien bonne chose qu’il gardait pour moi et me donnerait juste avant Noël. Il n’avait cesse de me le répéter et je trouvais qu’il en parlait avec les yeux émerveillés de Cosette face à l’extraordinaire poupée vue dans la vitrine d’une boutique proche des Ténardiers, des gens mauvais qui avaient eu la garde de la fillette. J’étais embarrassée à l’idée d’un cadeau extraordinaire alors je parlais du Monsieur à ma mère et du cadeau qu’il voulait me faire. Elle me recommanda la prudence, de ne jamais le suivre et de lui rapporter ce qu’il donnerait. Dans les jours qui suivirent, elle posait toujours des questions pleines de défiance et m’encourageait à éviter l’homme. Sans doute qu’il sentit des craintes naître en moi et il n(attendit pas davantage pour m’offrir son cadeau enveloppé d’un papier de soie bien propre. C’était une tranche de pain d’épice. Je la rapportais à ma mère qui fut soulagée du peu de chose et ricana méchamment « Je n’allais pas la manger ! ». Je baissais la tête, que fallait-il faire pour lui plaire ? « Tu vas la jeter ! N’est-ce pas que tu vas la jeter ! » Elle en parlait comme si c’était la pomme empoisonnée donnée à Blanche Neige par sa marâtre. Je l’ai jetée. Et j’ai entendu ma mère raconter à la voisine que je l’avais jetée

-                     Je n’étais pas une pauvre gamine qui avait besoin d’une tranche de pain d’épice.

L’affaire était finie. Ma mère était contente Mais pour moi, cette histoire ne m’a jamais quittée.

J’ai souvent pensé à cet homme avec sa capote de soldat qui voulait tant me faire plaisir et pour qui cette tranche de pain d’épice était un beau cadeau. En tous les cas, c’était le cadeau de son cœur généreux. Quand j’avais parlé de l’homme à ma mère, elle m’avait accompagnée jusqu’au baraquement pour que je le lui désigne. Et elle avait paru rassurée. « Il a une bonne tête » avait-elle dit un brin méprisant car, s’il venait à la soupe populaire, il n’était pas vraiment fréquentable. Dans ces moments-là, je trouvais que ma mère était aussi détestable que ma grand-mère chez qui j’avais vécu trois années durant. Sous ses airs de grande dame, je la trouvais profondément méchante. Et j’allais connaître l’étendue de sa méchanceté durant mon adolescence.

Je n’ai plus revu l’homme. Et je trouve très triste qu’il n’ait pas eu droit à mon remerciement, selon ma mère, il n’en était pas question, il devait rester un inconnu. Peut-être que ce n’était plus nécessaire d’aller à la soupe populaire puisque ma petite sœur était dans une jolie banlieue chez une nourrice qu’elle appelait sa mémé et quand elle la quitta, ce fut une grande déchirure. Ma mère semblait croire qu’on pouvait déposer un bébé dans un coin accommodant dans le moment puis qu’on pouvait le récupérer pour le déposer ailleurs parce que c’était plus pratique dans l’instant. Je me souviens d’une assistante sociale venue lui expliquer que ça ne se passait pas comme ça avec les enfants et que ma petite sœur était devenue incontinente à cause de la séparation trop brutale d’avec sa nourrice. Quand l’assistante partit, j’eus droit à une sacrée engueulade

-                     Tu n’es qu’une sainte nitouche, une espionne qui écoute tout et se permet de juger.

Je n’ai rien compris à sa colère d’autant que je n’écoutais jamais aux portes. Et si on parlait, je devais écouter, alors faudrait savoir ! Avec la meilleure volonté, c’était dur de savoir quelle conduite adopter.

Parfois, la voisine venait la calmer. Entre autres, dans une crise homérique parce que le lait avait débordé de la casserole et que même l’odeur ne m’avait pas alertée. J’avais pitié de ma mère alors j’ai cassé ma tirelire pour aller lui acheter un paquet de lait. Elle s’en est étonnée auprès de la voisine qui lui a répondu

-                     Je vous l’ai dit, cette gosse vous adore.

Je me suis bouchée les oreilles car je n’aime pas bien qu’on parle de mes sentiments. .

 

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