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J'ECRIS ET CHASSE LE HANDICAP
25 mai 2011

Fêtes de fin d’année et mort du Général

 

Épisode 67


 

Lors de ce séjour au sanatorium, le médecin directeur m’a donné à choisir entre deux possibilités, j’aurais bien aimé éviter à chosir. J’avais été le voir car je voulais « une permission » pour pouvoir rentrer quelques jours chez moi afin d’être présent au mariage de mon frère.

  • Ah mais mon jeune ami, ce n’est pas si facile ! 

Ça commence mal…

- La fin de l’année arrive et vous me demanderez certainement aussi de pouvoir aller passer les fêtes de fin d’année chez vous ? 

« Affirmatif mon colonel ! » Heu… non pardon !

- Ben oui, c’est vrai que moralement cela me ferait du bien »

« Ah mais mon pauvre ami, (c’est fou ce que l’on peut être son ami quand ce type veut vous annoncer une vacherie !) votre état ne permet pas deux absences prolongées de notre établissement si tôt après votre arrivée parmi nous ».

Bon…

Evidemment je choisis la permission pour mariage car des fins d’années je sais que j’en aurais d’autres. Passer d’une année à l’autre ici, je n’en mourrais pas, ce qui dans un endroit pareil, est la moindre des choses !

La fin d’année arrive donc. Cela se voit à la mine allongée de tous ceux qui savent comme moi qu’ils devront rester là pour admirer les yeux embués par l’émotion d’un Noël pourri, un petit sapin rabougri installé dans le réfectoire. Car dans ce haut lieu monastique, nous ne mangeons pas dans une salle de restaurant. Je me fais un malin plaisir de dire à la bonne sœur qui me demande où je vais que : « je descends à la cantine ». « Dites au moins la salle à manger ! » me rétorque-t-elle. Elle a raison au fond, ce n’est qu’une salle pour manger et rien d’autre.

Des tables rondes de huit personnes sur lesquelles, les inévitables dames de service  (de la cantine je vous dis !!) posent les plats collectifs. C’est l’occasion où chacun observe que le gars d’à côté ne prend bien que sa part et ne mord pas sur la vôtre…On s’occupe quoi !

Le jour de l’an, avec son repas du soir est le moment opportun que le médecin directeur choisit pour nous gratifier de ses vœux « et surtout la santé bien sûr ! »

Mais avant, il a pris soin d’être des nôtres, attablé quand même à une table à part , avec les plus hautes autorités de l’établissement pour l’occasion : La bonne sœur en chef, l’économe qui a la tête de l’emploi avec sa tête de moineau et son nœud papillon, le jeune radiologue car on passe bien sûr les radios sur place et quelques autres notables, membres du conseil d’administration certainement. Ces messieurs dames ne vont pas manger, non eux ont un vrai réveillon qui les attend à une heure plus digne que notre festin de18h de maison de retraite. Sur un signe du directeur ils lèveront à notre santé le verre que j’imagine de Champagne. Je dis « j’imagine » car je suis trop loin pour bien voir mais je doute qu’on leur ait versé le mousseux auquel nous avons exceptionnellement droit (« ça va pour cette fois mais c’est contre indiqué avec votre traitement mon pauvre ami ! »)

Avant de vous raconter le moment inoubliable des vœux du directeur qui restera gravé dans nos cœurs pour les jours de déprime à venir, il me faut vous parler de « la bande de mécréants ».

Il s’agit des quatre ou cinq types dont je fais partie et que l’un d’eux a désignés une bonne fois pour toute, un dimanche matin, comme « la bande de mécréants ». Ils le sont et peuvent le prouver.

Pour cela rien de bien difficile, il suffit le dimanche matin de rester au chaud dans « la cantine » à jouer aux cartes au lieu d’aller se geler les orteils pour se faire voir à la messe dans une chapelle réfrigérée. Et oui, cette activité culturelle est chaudement recommandée si l’on ne veut pas avoir des soucis avec le directeur qui travaille à préserver son quota de prix de journée chaque mois.

Il peut vous donner des deux mois de prolongation au cas où il aurait appris que vous ne voulez pas faire partie des futurs élus appelés à cohabiter avec lui dans le domaine des dieux (ou d’un seul vieux barbu car il est connu que les élus cohabiteront tous mais à la droite d’un seul !). Cela peut paraître invraisemblable mais j’ai vu un type passé juste avant moi dans le bureau du directeur, en sortir les larmes aux yeux. Ce jeune père de famille savait, m’a t-il dit plus tard, par une bonne sœur qui savait interpréter une radio, que ses poumons étaient complètement cicatrisés. Il n’attendait donc que son bulletin de sortie pour retrouver enfin les siens.

  • Je suis autant déçu que vous mon pauvre ami… lui avait dit l’infâme

  • mais je ne peux prendre le risque de vous laisser sortir à moins que vous vouliez ABSOLUMENT signer une décharge pour cela ? 

Surpris par le ton plutôt menaçant, le gars n’avait pas osé dire oui et il en reprenait pour deux trop longs mois pour son petit moral…

Donc les mécréants jouaient les durs qui ne se laisseraient pas faire le moment venu. Pour l’instant : « C’est à toi de donner et tiens, regarde l’autre endimanché qui va prier la madone. Je le connais c’est un voyou et il me fait bien marrer à faire le zouave tous les dimanches ! » Moi je n’avais pas spécialement envie de jouer les durs ni de faire le zouave, mais apprendre le poker avec des pros pour éviter la messe était trop tentant.

 

Quelques jours plus tard, grande nouvelle ! « Le général DE Gaulle est mort ».

L’information n’a pas manqué d’arriver dans ce haut lieu militarisé. Un général qui meurt dans son lit, c’est fréquent mais c’est quand même un ancien président de la république. La bonne sœur me l’apprend donc en me précisant d’une voix ferme :

- Tout le monde est attendue sur la terrasse à 11h pour un lever des couleurs, alors couvrez vous bien car, ce matin, il fait moins 10° avec du vent ! 

Je n’ai jamais eu la preuve qu’il avait fait exprès de mourir pour obliger le gauchiste que je suis à devoir aller risquer une rechute de tuberculose pulmonaire. Je réponds d’une voix ferme qui n’incite pas à la contradiction :

- Je ne comprends pas bien, je n’ai aucun lien de parenté avec le général et je ne vois aucune raison pour me rendre sur la terrasse pour prendre froid ! 

La bonne sœur hoche la tête avec son air habituel de réprobation mais sort de ma chambre sans un mot.

11h a-t-elle dit ? Il est 10h 30 et je décide de descendre à la « cantine » pour espérer retrouver quelques autres mécréants et taper le carton au chaud pendant les festivités honorifiques.

Je ne suis pas déçu et réussis à prendre une partie de carte en cours.

On est bien, au chaud, à se raconter comme d’habitude quelques niaiseries et autres médisances sur l’atmosphère du jour. Quel bonheur ineffable de voir arriver vers midi, les collègues et leur visage pâli par le froid émergeant de leurs beaux habits du dimanche. Ils ont l’air d’avoir passé un agréable moment de liesse collective.

  • C’était bien ? Il y avait du monde ? On aurait pu nous prévenir ! se marre l’un de nous.

Je le désignerais comme le plus casse-pieds, car il était le genre de type à qui tout semble réussir, mais c’était aussi le plus drôle avec son franc parler parigot. Il m’avait montré la photo de la femme qu’il aimait, « une splendide Manouche » m’avait-il précisé. Il jouait au poker pour gagner sa vie ce qui semblait lui réussir jusqu’alors.

Les « semble t-il » permettent de penser que tous ses propos n’étaient certainement pas le résultat de la stricte réalité. Je me souviens surtout d’un type assez séduisant, un hâbleur agitant ses mains comme un italien pour mieux vous convaincre. Mais comme il refusait toujours de jouer à l’argent avec « la bande de mécréants », il avait pour moi le prestige du gars modeste qui en sait trop pour vouloir faire du mal aux autres. Un exemple quoi !

Et c’est là où il est temps de se rapprocher pour ne pas en perdre une miette car va se produire « l’événement » que l’on peut qualifier « de l’année nouvelle » et qui vous marque d’une pierre blanche pour tous les autres 1er janvier que vous fêterez à l’avenir.

 

 

Voici mon grand camarade qui fait partie de la triste tablée des « refusés de permission » que nous sommes et qui se lève lentement à la fin du discours de Môssieur le Directeur pour applaudir avec force.

Vous dire l’effet que cela fait dans le silence retombé après le laïus de l’infâme, de voir ce grand type debout, beau comme un seigneur et qui applaudit tout seul !

L’assistance médusée a-t-elle compris instinctivement que si elle se joint à lui, le directeur prendrait aisément cela pour une acclamation de remerciements émus ? Ce ne pourra pas être le cas cette fois-ci.

Mon grand camarade reste debout, et pendant encore un petit moment continue d’applaudir tout seul d’un air très sérieux.

Le directeur s’est très vite rassis le visage figé et se tournant sur sa gauche, entame une conversation importante avec l’économe si bien nommé…

 

Plusieurs semaines plus tard, j’attends avec anxiété les résultats d’une radio que je viens de passer. Après plusieurs matins sans réponse à ma question, la bonne sœur sympa de service me tend mes médicaments en me disant à voix basse. « Ne vous inquiétez pas, vos résultats sont bons ! »

Elle n’aurait pas apprécié que je lui saute au cou pour l’embrasser sauvagement, alors je lui ai juste dit « Ben…je vous remercie beaucoup ! » Je devais avoir le ton hésitant mais sincère de celui qui n’osait pas y croire.

La majorité étant encore à 21 ans, j’ai dû demander à mes parents de m’envoyer la fameuse décharge signée me permettant de quitter les lieux au plus vite. Le directeur a profité de leur absence pour maugréer des propos désagréables sur les parents inconscients car pas assez attentifs à la santé de leurs enfants.

 

J’ai failli me lever pour applaudir ces paroles franchement républicaines mais je n’étais pas un grand type séduisant et suffisamment hâbleur pour le faire. En plus il n’y avait pas de public, le seul pisse-froid présent n’en aurait pas vraiment profité.

 

François Geoffroy

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