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J'ECRIS ET CHASSE LE HANDICAP
13 mai 2011

N°62 La Fraternité,la joie en partage

Épisode 62

Le bidonville et la grive

                     L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mon père avait appris que d’autres, certainement moins chargés de famille, avaient pris le relais du dépannage d’hébergement. Pourtant quelques semaines plus tard, je m’en souviendrai toujours, on sonne à la porte un dimanche un peu avant midi…Ils sont revenus ! Ils ont des grands sacs et l’un d’eux porte un grand carton plat avec ce qui doit être, à l’intérieur, un énorme gâteau.

           Deux d’entre eux demandent à ma mère s’ils peuvent utiliser la cuisine et ils s’enferment tous les trois pour faire des mystères. Ce midi là fut un sacré jour de fête car le déjeuner changea de l’habitude par sa démesure. Je goûtai pour ma première fois au couscous et eus droit comme tout le monde à une part de déménageur du gros gâteau. Ils restèrent l’après-midi à bavarder. Ils voulurent redire pourquoi ils n’avaient pas pu revenir la deuxième nuit  car « prendre la place des enfants, cela ne se fait pas ». Celui qui d’emblée semblait le plus à l’aise déjà avec le français mais aussi avec mon père qui se voulait toujours avoir un air très sérieux, s’appelait Hammoudi Arab. Il devint un ami de mes parents, nous le voyions souvent et à ces occasions je me faisais petit pour rester écouter « les grands ». Parfois, mon père me demandait un peu sévèrement comme à son habitude si je n’avais pas « autre chose à faire », alors Hammoudi me regardait en souriant et disait « Il apprendra vite celui là car il ne dit rien mais il écoute… ». Je savais que mon père n’oserait rien ajouter, alors je me calais d’autant sur ma chaise pour écouter cet homme de là-bas.

            Ils parlaient ensemble de religion, de politique, de la famille, de la guerre et j’avais vite compris qu’Hammoudi avait conquis mes parents par sa façon d’appréhender la vie. Il se présentait comme un homme bien, attentionné à sa famille malgré l’éloignement et d’une solidarité sans faille à l’égard de ses compatriotes en France. Il avait été un responsable du F.N.L dans sa région d’origine et était respecté pour cela par ses congénères. En discutant, mes parents et lui semblaient avoir découvert facilement qu’il n’y avait que le nom de leur dieu qui changeait mais que ce devait bien être le même.

              Comme je traînais souvent dans les rues, je me souviens d’un soir où je le croise alors qu’il rentre du travail. Il m’invite à le suivre dans sa nouvelle baraque reconstruite au même endroit. L’après guerre, celle que l’on a appelé la dernière en France, a vu la construction dans l’urgence des grands ensembles, devenus les fameuses banlieues, lieux de perdition aujourd’hui. Hier, lieu de grand bonheur pour ma vie d’enfant. Mais cet après-guerre concernait les Français, les Algériens venus dix ans plus tard construisirent des routes, des écoles des hôpitaux et des…H.L.M mais n’avaient pas droit à un après-guerre honorable. D’aucun dans notre cité aurait pu dire : « Ils ont toujours su se débrouiller alors si leur bidonville a brûlé, ils en reconstruiront bien un autre ».  Ils allaient rester les habitants de nos anciennes colonies que l’on oublie dans un coin boueux derrière un petit bois.  Le meilleur moyen de se débarrasser de la honte que l’on ressent pour quelqu’un, c’est de la lui refiler. D’où la violence des injures, les « bougnoules » et autres rabaissements violents à l’égard de ces hommes venus chez nous alors qu’ils s’étaient battus pour vivre sans nous chez eux. Incompréhensible n’est-ce pas ? Ce n’était qu’une histoire de misère dénoncée par le slogan de mai 68 « Travailleurs français, émigrés, mêmes patrons, mêmes combats ! »

    Arrivés dans sa baraque, Hammoudi fait chauffer de l’eau pour du thé à la menthe. J’en ai évidemment jamais bu et lorsqu’il se prépare à mettre trois morceaux de sucre dans le petit verre, je lui dis de n’en mettre qu’un car je n’aime pas trop sucré. Il me regarde en souriant et me sert sans rien dire mon thé avec un seul sucre. Si vous avez déjà mordu dans une petite prunelle au mois d’août, vous savez déjà que j’ai senti mes joues se coller l’une à l’autre en découvrant l’amertume de mon thé. J’ai découvert bien d’autres choses avec Hammoudi surtout quant à 16 ans j’ai commencé à travailler moi aussi dans le bâtiment comme peintre. Je sortais du lycée et je trouvais que le travail était dur même s’il me plaisait quand même. Hammoudi était boiseur, c’était le travail de celui qui prépare les coffrages qui recevront le béton coulé. J’étais fier d’être comme lui, « du bâtiment ». Il avait l’expérience du travail à un poste assez contraignant, qui plus est comme travailleur émigré algérien. Je crois qu’il représentait un peu le grand frère qui pouvait veiller sur moi.

             Un soir, il passe à la maison avec un carton sous le bras. Il me le donne en me disant : « Je pense que tu sauras bien t’en occuper ». En prenant le carton, je sens que cela remue à l’intérieur, j’ouvre et vois un oiseau gris et marron de la grosseur d’un merle. « C’est une grive, je l’ai trouvé par terre, elle doit être blessée ». Effectivement, en la sortant doucement du carton, une de ses ailes pend anormalement. Après y avoir fait des trous, j’ai placé le carton sur le rebord de la fenêtre de la cuisine. J’ai mis au fond quelques papiers journaux pour le confort de Madame, qui est peut-être un monsieur d’ailleurs…Je n’ai pas oublié un peu de pain détrempé au cas où elle ne soit pas très courageuse pour picorer.

     J’étais encore au lycée et le lendemain je rentre vers 16h30 à la maison pour découvrir que le carton est vide. Ma mère est aussi surprise que moi, elle a eu l’occasion de l’entendre bouger dans la journée et ne comprends pas ce qui s’est passé. Je descends dehors pour aller sur la pelouse le long du bâtiment pour chercher la grive.

      Nous habitons au premier et au rez de chaussée c’est la famille Lamant. Si mes parents se sont arrêtés à 6 enfants, ils nous battent à plate couture, ils ont 14 enfants ! Cela me convient parfaitement car je suis copain avec trois des frères. Tout ça pour dire que la mère Lamant a intérêt à se faire respecter par tout son monde et c’est de sa voix bien marquée qu’elle m’interpelle. « C’est ton oiseau que tu cherches ? » Comment savait-elle déjà que j’avais un oiseau sur le bord de la fenêtre…Mystère ! « Parce que j’ai vu un chat partir avec un gros oiseau dans sa gueule. »  Fin de l’épisode

J’avais un oiseau…

    Il n’empêche que ce court souvenir d’avoir eu pour la première fois un animal à moi m’est resté comme une lueur de plaisir nouveau. Mes parents ne voulaient pas d’animaux chez nous. Je suppose qu’ils trouvaient à juste titre que la maison était déjà suffisamment pleine avec les enfants. D’ailleurs, dans le cas improbable d’un chien, cela aura été l’occasion de dépenses supplémentaires bien inutiles face à toutes celles indispensables et déjà problématiques.

             Je ne sais pourquoi j’ai eu envie de raconter ce souvenir. « Des souvenirs d’avant que je marche » Paroles d’une chanson oubliée…Mon histoire a commencé par ce petit garçon triste et solitaire dans sa grande famille et qui restait des heures devant une fenêtre à attendre la vie.

Puis la vie est venue comme un grand coup de vent qui balaye tout. Quelques temps après qu’ Hammoudi m’apportait une grive. Depuis j’ai eu moi-même des enfants, des chats, de longues années de travail auprès d’handicapés qui se sont révélés évidemment plus intéressants que des murs à repeindre. Plus de 50 ans ont passé après « ces souvenirs d’avant que je marche ».

Ces derniers temps j’ai fait pas mal de kilomètres car chaque matin je marche pour enrayer ma situation d’invalidité suite à une opération sur hernie discale. Le samedi matin  je vais voir ma mère qui est en maison de retraite dans ma ville. Elle a reçu récemment une lettre d’Algérie que la poste a fait suivre de son ancien domicile. Cette lettre s’est présentée à moi comme une agréable odeur d’enfance.

 

 

       Morale de la fable du bidonville et de la grive : Si mes parents ont participé généreusement mais de simple façon à préserver l’humanité de notre espèce en offrant un lit pour un soir à des hommes en détresse, je n’ai pas pu empêcher que cette grive se fasse bouffer par ce chat. Mais si ce chat de gouttière était au bord de la famine et que je lui ai donné l’occasion sans le vouloir de manger ma grive, j’ai peut-être préservé l’avenir d’une longue descendance de chats qui ont fait les plaisirs des enfants de ma cité.        

             

       Ma mère est très âgée et elle apprécie que je lui serve de secrétaire pour son courrier. Elle est malhabile pour écrire mais elle garde toute sa tête au-delà de ses soucis de mémoire heureusement pas imputable à de l’Alzheimer.

        Nous découvrons que c’est Mohamed, un des fils d’Arab Hammoudi qui lui écrit. Il parle de son père de 75 ans qui souhaite avoir des nouvelles de « grand-mère Marie-Rose ». Il écrit que son père leur a souvent parlé de mes parents et qu’il serait heureux lui-même d’avoir des nouvelles de toute notre famille. Je sais que ma mère a reçu quelques années encore après la mort de mon père du courrier d’Hammoudi et comme avec tous ses amis, elle répondait toujours de belles et longues lettres. Mais à cause du temps qui passe trop vite en bousculant la vie de chacun, elle n’avait plus reçu de nouvelles d’Algérie depuis au moins 15 ans. Pour moi, c’est plus de 40 ans qui ont passées depuis la grive. Si j’ai la mémoire feignante pour certaines choses récentes, elle est intact pour d’autres très lointaines. J’ai eu plaisir à trouver avec ma mère les mots pour répondre du mieux possible à la lettre. J’y ai ajouté une photo où ma mère est chez nous et où nous sommes avec Marie et les enfants autour d’elle. J’ai raconté dans cette lettre au fils d’Hammoudi l’histoire de la grive et mon souvenir de son père comme « d’un homme bien ». Deux mois ont passés, je viens de recevoir une nouvelle lettre de Mohamed qui commence par « Cher frère François ». Il me remercie de ma réponse, me redonne des nouvelles de son père et sa mère qui vont bien. Il m’annonce qu’il a un garçon de 24 mois qui s’appelle Ali. Pour finir il m’invite avec ma famille à venir les voir car « nous avons une maison spacieuse et pas loin de la mer. En juillet ou août, comme vous voulez, je pourrais vous montrer le pays et nous irions profiter de la mer ».

                 Je le redis, plus de 40 ans ont passé et je réponds à cet homme que je n’ai jamais vu : « Comme vous m’avez fait le plaisir de m’appeler « Cher frère François », je me permets de commencer aussi ma lettre par « Cher frère Mohamed ». Alors je lui redonne des nouvelles de la mère et je lui dis que j’espère que ses parents vont toujours bien. Je le remercie de son invitation, que j‘ai des soucis de santé qui limitent à présent un peu mes déplacements mais qu’à l’avenir peut-être nous aurions plaisir à aller les voir.

  Je pense qu’il ne faudrait pas que cet avenir soit trop lointain car son père commence déjà à être un peu âgé. Alors seul l’avenir dira si je pourrai revoir l’ami qui m’a fait coller mes joues avec son thé à la menthe dans une baraque en banlieue.

François

(Avril 2011)

 

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